Lettre pour Élise Lucet

Lettre ouverte de Elisabeth Delagarde à Élise Lucet
“Envoyé spécial sur les sondages”

mardi 25 avril 2017,

Bonjour Élise Lucet,

Je tenais à réagir à l’émission d’Envoyé spécial « Secrets de sondages. Quelle confiance leur accorder ? Quels sont leurs secrets de fabrication ? Révélations sur les méthodes contestables des oracles de la politique. » que j’ai regardée en replay. Je précise que je suis une retraitée d’un institut de sondage.

Dans cette émission, vous mettez en cause l’objectivité des sondages. Personnellement, j’ai été très sensible au manque d’objectivité de cette émission.

Votre remise en cause porte sur les échantillons, sur le libellé des questions, sur la « manipulation » des résultats….

Les techniques d’échantillonnage ne sont certes pas parfaites. C’est d’ailleurs pourquoi les instituts appliquent aux résultats bruts des redressements destinés à prendre en compte d’autres critères que les quotas classiques (sexe, âge, région, profession). Ces redressements n’ont pas pour but de manipuler les chiffres bruts mais de corriger les imperfections de l’échantillon (en particulier les sensibilités politiques des interviewés dans des études sur ces sujets). Il s’agit simplement d’obtenir des résultats les plus justes possibles. N’avez-vous jamais pensé que la meilleure publicité pour un institut est de proposer des résultats qui soient le plus proche possible du réel et que celui qui aura publié les intentions de vote les plus proches du résultat final sera celui qui disposera pour l’avenir de la meilleure crédibilité auprès de ses futurs clients ? Penser qu’ils cherchent à biaiser les résultats de l’étude est remettre en cause leur probité et leur souci déontologique et cela me choque.

Le libellé des question ! Votre hypothèse de son influence sur les résultats ! ! ! ! Mais ce n’est pas une hypothèse ! c’est une évidence ! c’est le b a ba du métier, c’est ce que l’on apprend dans tous les cours et formations sur le métier, ce dont on se soucie quotidiennement dans la rédaction des questionnaires. Il y a d’ailleurs toute une littérature professionnelle sur le sujet avec de nombreux exemples plus subtils que ceux que vous utilisez.

Je reviens sur les exemples de questions que vous citez. Sur l’euthanasie, la question posée par l’IFOP ne serait pas « objective » et votre journaliste met en cause le propos de Frédéric Dabi qui explique que cette question posée régulièrement, l’a été au départ par un journal et non une association partisane. Mais pensez-vous vraiment que la question « êtes vous pour ou contre l’euthanasie » serait plus objective ? Croyez-vous vraiment que si un jour un projet de loi est proposé à l’Assemblée elle sera formulée ainsi et non en précisant les conditions dans lesquelles l’euthanasie pourrait être légalisée ? Et les conditions figurant dans la question de l’Ifop ne sont-elles pas crédibles par rapport à ce qui pourrait être proposé ?

Il en est de même pour l’immigration : on peut être pour l’accueil de familles et en particulier d’enfants fuyant des pays en guerre mais pas favorable à l’accueil de tous ceux qui viennent de zones géographiques larges (l’Afrique par exemple). Ce n’est pas manipuler l’information, il suffit de lire la question pour savoir à quoi les gens répondent. Même remarque pour la Sécurité Sociale : on peut être pour une réduction des dépenses mais pas forcément pour celle des remboursements. Ce n’est pas contradictoire. Il ne manque pas d’autres sources d’économie qui ont d’ailleurs déjà fait l’objet de réformes (durée d’hospitalisation, quantité de médicaments prescrits, redondance des examens médicaux….). La rédaction d’une question et l’analyse des réponses recueillies ne répondent pas à des principes manichéens et avant de les commenter il est effectivement indispensable de se livrer à un travail d’analyse approfondi.

Vous présentez l’Institut Belge auquel vous faites appel pour réaliser votre sondage comme un institut « indépendant ». Qu’est-ce à dire ? Les instituts français le sont-ils moins ? Et si oui en quoi ? Vous ne le précisez pas. L’indépendance que vous citez pour cet institut ne vient-elle pas uniquement du fait que ce soit à lui que vous avez fait appel ?

Je ne peux accepter d’entendre dire que les instituts de sondage utilisent des méthodes contestables et qu’on laisse entendre que les sondages manipulent l’opinion. Qu’ils aient une influence sur l’opinion c’est certain, mais l’influence des médias est tout aussi certaine : elle se manifeste dans leurs commentaires des sondages (ce sont eux qui oublient de mentionner les marges d’erreur, pas les instituts, ce sont eux qui oublient de préciser le sens de la question) mais l’influence des médias se manifeste également dans les choix éditoriaux, dans le choix des sujets mis en évidence, des intervenants invités à s’exprimer…. sans parler des micros trottoirs qui ponctuent trop souvent les reportages ! Vous qui remettez en cause la fiabilité des échantillons des sondages que pensez-vous de ces personnes à qui l’on donne la parole pour commenter tout et n’importe quoi ? Sur quels critères ont-ils été retenus ? Quelle légitimité ont-ils pour s’exprimer sur ces sujets ?

Ma déception face à cette émission est d’autant plus grande que j’ai souvent apprécié votre démarche et vos prises de position. Mais là, face à un sujet que je connais bien, j’ai le sentiment que ce n’est pas l’aspect informatif du sujet qui vous intéresse mais de faire du spectaculaire en oubliant toute objectivité. Certes, il est plus vendeur de flirter avec les notions de manipulation, très à la mode en particulier en ce moment, que de se livrer à un vrai travail d’explication.

A la une de Télérama figure votre propos « Je ne suis militante de rien, si ce n’est du droit d’informer ». Je vous en prie, continuez à nous informer mais objectivement.

Auteur: Elisabeth Delagarde

Lettre pour Élise Lucet. Lettre 1517.

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