Lettre pour Stéphane Brizé

Lettre ouverte de Philippe à Stéphane Brizé
“Juste merci”

dimanche 7 octobre 2018,

Monsieur, camarade peut-être peut-on t'appeler ? ;)

Honnêtement le film En guerre m'a scié. Je suis plutôt cinéphile et je dois que c'est l'un des plus beaux films que j'ai vu.

J'appartient au monde syndical, du coup bien évidemment ma sensibilité doit être particulièrement ouverte à votre oeuvre. Mais je reste persuadé que ce film ouvrira les yeux des dizaines centaines ou même millions de gens qui ne comprenne pas les luttes qui traversent le pays, qui n'en ont que l'écho ô combien déformé des médias dominants.

Votre film est à mon sens un chef d'oeuvre, tant par sa forme, son scénario que le jeu sublime des acteurs. Combien de personnages ai-je déjà connu dans les luttes que j'ai pu suivre : Mélanie la jeune femme spontanée et profondément juste, qui se découvrira un mental de guerrière au cours de la lutte, le gars bagarreur qui insulte sa DRH au début, le CFDT-iste, désolé de crever l'abscès mais le syndicat SIPI fait penser comme 2 gouttes d'eau à cette centrale syndicale, traversé de contradiction mais incapable de mener une lutte résolue pour des objectifs valables, dès que celle-ci signifie un engagement trop fort.

J'imagine que vous avez du connaître de près ces luttes d'une façon ou une autre, sinon tant de réalisme serait impossible. Seuls quelques scènes ou personnages sont un chouilla idéalisées, mais on vous le pardonnera milles fois au vu du reste.

Merci camarade, tu donnes une voix à des centaines, des milliers de militants syndicaux qui luttent dans les entreprises, qui bien souvent y laisse leur vie même si c'est rarement (et heureusement !) de la façon dont le film se finit. Les divorces, pétage de plomb, abandon sont nombreux dans ces milieux tant la pression est rude.

Le seul bémol que je pourrait y voir, mais c'est certainement parce que la vie elle-même contient ce bémol aujourd'hui, c'est que le film est un peu trop centré sur le personnage principal. Mais c'est aussi sans doute qu'aujourd'hui le fait est que les luttes se déroulent avec une poignée de leaders, et peinent à entraîner réellement la masse non seulement dans l'action, mais dans l'organisation du mouvement.

Une fin plus heureuse aurait pu être une fin à la Fralib, que vous connaissez sûrement ? C'est je pense l'issue à souhaiter à nombre de ces luttes, lorsqu'une reprise par les salariés eux-mêmes de l'entreprise est possible et cela dépend de nombreux facteurs, mais principalement la viabilité de l'entreprise (ici c'est le cas).

Car que se serait-il passé si le repreneur avait pu racheté cette boîte ? Il aurait à nouveau négocier des accords au rabais avec le chantage à l'emploi que ça situation lui permettrait, il aurait eu une position de sauveur dans l'entreprise qui lui aurait permis de durcir probablement les règles et de limiter les revendications salariées pendant un temps long.

La vie des salariés aurait repris son cours... jusqu'au prochain mauvais coup, ou bien jusqu'au dégraissage progressif de la boîte, voie préférée des employeurs car permettant une fin en douceur. Et lorsque ceux-ci viendront, la lassitude finirait par l'emporter pour les salariés, fatigués de devoir se battre pour un emploi qui de plus, dans sa nature, a souvent de moins en moins d'intérêt.

C'est aussi la d'ailleurs que les revendications du type "chèque au licenciement" prennent leur force, du désintérêt toujours plus fort du salarié envers son travail devenu parcellaire, et dont le sens lui échappe. Un ouvrier des chantiers navals me confiait ainsi il y a peu, qu'il n'avait qu'une envie : couler par le fond ces bateaux de croisière qui y poussaient comme des champignons une fois ceux-ci achevés. Autant de travail, de matériaux, pour y transporter des touristes avides d'un luxe et d'un confort purement artificiel, pour un coût social et environnemental exubérant le révoltait profondément.

C'est en cela que les choses, ne peuvent pas, pour représenter une issue victorieuse, retourner simplement à leur état ancien, au sens des rapports qui préexistaient.

Tout ceci n'est pas une critique, mais simplement une discussion sur le sens que pourrait donner à la lutte Amadéo. Car sa figure, ressemble un peu trop à celle du Christ à mon goût.

Mais quoiqu'il en soit, cette oeuvre, à le très grand mérite de lever le voile et de laisser rentrer une lumière crue sur la violence des rapports humains dans l'entreprise et la vérité des combats qui s'y mènent, et avec quel brio !

Mais je suggérerais bien un sujet d'un film prochain : En guerre, version Fralib ;)

Je vais regarder tes autres oeuvres que je ne connais non plus.

Enfin simplement j'ai téléchargé le film (et oui désolé mais je n'aurais jamais pu me forger ma culture cinématographique si je n'avais violé allégrement le droit de propriété privé intellectuel).

Au vu du film, j'aurais réellement envie de cotiser pour vous soutenir. Je peux acheter le DVD mais cela ne me sert strictement à rien. Je préferais donner directement l'argent à votre équipe. Y a-t-il une cagnotte quelque part ? J'y mettrais volontier l'équivalent du prix du DVD. Renvoyez la moi si oui sur ma boîte svp.

Les choses bougent en France, les lignes se déplacent, nous vivons une époque pleines de potentiels, cachés au milieu des défaites et des douleurs. Que le cinéma s'en empare, c'est un grand plaisir, et c'est un signe en soi-même !

A bientôt camarades, on vous suivra.

Philippe

Auteur: Philippe

Lettre pour Stéphane Brizé. Lettre 11.

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