Lettre pour Élise Lucet

Lettre ouverte de FMG à Élise Lucet
“Témoignage EHPAD”

jeudi 20 septembre 2018,

Madame,

Je viens de regarder avec intérêt votre documentaire sur les EHPAD.
Même s’il est un peu ancien, je souhaite apporter mon témoignage qui, hélas, va exactement dans le sens de ce que vous montrez.
En 2002 j’ai dû institutionnaliser ma grand-mère de 88 ans atteinte de démence. Comme le signifiait le monsieur dont la mère a été tuée, j’ai aussi cru qu’en payant plus cher elle serait mieux traitée.
Le fait est que lors de la visite avant de signer le contrat, l’établissement, repris depuis par Korian, était rutilant et le personnel redoublait de prévenance pour chaque résident.
Tant que ma grand-mère a été capable de s’exprimer, les choses se sont passées à peu près correctement mais lorsque sa pathologie l’a rendue aphasique, tout s’est dégradé ce qui était « normal » puisqu’elle ne pouvait plus se plaindre.
Comme certains résidents que vous montriez, je l’ai vue dans son fauteuil un morceau de gâteau coincé dans la main, je l’ai vue dans son lit avec les barrières, avec son goûter posé sur la table au pied du lit. Avec un double saut périlleux, elle aurait pu l’atteindre sans souci… Pauvre grand-mère pleine de mauvaise volonté !
Nous venions chaque jour la faire goûter et elle avait de grosses difficultés à avaler des liquides. Je me suis fait éconduire lorsque j’ai parlé d’eau gélifiée, produit pourtant bien connu du secteur gériatrique. Il a donc fallu en plus d’un prix d’environ 2500€ mensuels, acheter ces produits indispensables pour elle.
Un soir que j’étais venue la faire manger j’ai vu un verre d’eau posé sur sa table (car personne ne la faisait manger, les items de la grille de dépendance étant falsifiés). J’ai demandé qu’on mette à sa disposition un « canard » ce qui a suscité un ricanement de la part de la directrice qui m’a rétorque « mais madame, les canards sont à la charge de la famille ». Ce n’était pas pour le coût de l’objet, mais c’est scandaleux qu’un établissement MEDICALISE de dispose pas de ce type d’équipement basique.
Début 2003, la directrice m’appelle en me disant, tout guillerette, « bonne année Madame. En fait je n’ai pas une bonne nouvelle votre grand-mère est en train de mourir »…. 2 jours plus tôt son état était stable… Elle était simplement en train de se déshydrater. Cet épisode a été géré correctement, si ce c’est que je me suis encore fait toiser lorsque j’ai demandé qu’elle bénéficie de soins de bouche. Je me suis entendu répondre de la part de cette directrice, qui se disait infirmière, « mais madame, les soins de bouche c’est du luxe, ce n’est pas vital ! » Peut-être pas vital (et encore, pour une personne déshydratée, je doute…) mais en terme de confort de base, de surcroît pour une personne atteinte de démence ! J’ai entendu cette réflexion il y a 15 ans, mais je peux vous assurer qu’à chaque fois que j’ai eu soif depuis, sans avoir pour autant la langue rôtie, cette notion de soin de bouche (et d’hydratation) comme « luxe » m’est revenue…
L’été 2003, de sinistre mémoire, nous nous relayions ma mère et moi pour l’hydrater au maximum et nous avons eu à subir les réflexions de la directrice nous disant que nous n’avions pas besoin de venir si souvent puisque eux s’en occupaient. Malgré tout, elle a fait un nouvel épisode de déshydratation et j’ai demandé que le médecin soit appelé. Je me suis fait invectiver, à la limite de l’insulte, au motif que ce n’était pas à moi de décider quand faire venir le médecin et que je ne devais pas interférer dans la prise en charge médicale. Ma mère était infirmière retraitée et elle m’a confirmé la nécessité d’une prise en charge médicale. J’ai donc moi-même appelé le médecin traitant ce qui m’a valu une réaction violente de cette directrice. Le médecin a prescrit une perfusion et lorsque nous sommes revenues quelques heures plus tard, ma mère a constaté que celle-ci avait été mal posée ! Rappelé, le médecin a constaté les faits et l’a fait hospitaliser en urgence.
Inutile de dire qu’elle n’a jamais remis les pieds dans ce mouroir.
Après être passée par un service de gériatrie (à l’hôpital PUBLIC) elle a fini ses jours 8 mois plus tard au sein d’une structure PUBLIQUE où elle a été vraiment bien prise en charge par des gens humains. Ceci étant, je ne veux pas ici accabler le personnel de l’EHPAD qui, comme les résidents, devait subir l’inhumanité de cette directrice qui appliquait manifestement à la lettre les directives budgétaires. Si un refuge pour animaux fonctionnait sur cette base, tout le monde crierait, à raison, au scandale.
Je regrette encore aujourd’hui d’avoir été aveuglée par ce miroir aux alouettes d’un établissement clinquant au tarif élevé. J’aurais eu l’impression de la « jeter » dans un mouroir en la plaçant d’emblée dans le public et c’est hélas ce que j’ai fait, par méconnaissance… pour 2500€ par mois !
Une dernière petite chose qui corrobore ce dont témoigne dans votre reportage le directeur : elle a quitté l’établissement un mercredi et la directrice m’a fait comprendre qu’il serait bien que je vide la chambre le lendemain. Je lui ai rétorqué qu’elle avait payé (par avance) pour une période donnée et que la chambre serait occupée jusqu’au bout. Tout était prêt, dans des valises et des sacs, mais j’ai refusé de débarrasser les lieux afin qu’ils ne soient pas facturés 2 fois à elle et à une autre « victime » de ces inhumaines « pompes à fric ».
Merci d’avoir, par ce documentaire, dénoncé les traitements inhumains infligés à nos anciens et, par ricochet, qui nous seront infligés à nous, « vieux » de demain.
Salutations distinguées
FMG, Troyes

Auteur: FMG

Lettre pour Élise Lucet. Lettre 3125.

2 commentaires sur cette lettre à Élise Lucet
  1. Malheureusement je suis actionnaire de Orpéa,
    Je retire tout ce jour. Merci

    Il y a 5 ans, par Lire
  2. En tant que directeur d'établissement ayant passé quelques mois dans le privé lucratif, je confirme ces états de faits... Aujourd'hui dans le public territorial les choses vont mieux même si les fourches caudines budgétaires de l'ARS soutiennent une maltraitance institutionnelle.

    Il y a 5 ans, par bigblue


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