Lettre pour Élise Lucet

Lettre ouverte de Dominique Drazebla à Élise Lucet
“La crise Lévothyrox”

samedi 7 octobre 2017,

Chère Élise Lucet,


En tant que fidèle de vos reportages, surtout ceux de Cash Investigation, j’ai suivi avec attention votre émission sur le Lévothyrox. Si d’habitude j’apprécie particulièrement votre côté lanceur d’alerte, je suis déçu par ce numéro. Plus encore, son manque d’objectivité m’a surpris, et ne fait que mettre de l’huile sur le feu d’un sujet déjà brûlant. Alors que l’heure devrait celle de l’explication, claire et pragmatique de la situation.
Je me permettrais juste de rappeler quelques faits. A peine évoquée lors de l’émission, c’est sur demande de l’ANSM au printemps dernier que le laboratoire Merck a dû changer sa formule de Lévothyrox. En cause: la présence d’un excipient à effet notoire, le lactose, et une teneur variable en principe actif, la Lévothyroxine, en fonction des lots de médicaments.
Cette même ANSM (au passage, ex AFSSAPS pour Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé, restructurée et renommée en 2012 après l’affaire du Médiator), accompagnait les professionnels de santé dans ce changement de formule. Vous l’avez bien montré, la Belgique a fait bien mieux que la France sur un même sujet……La communication n’a clairement pas été percutante et n’a pas atteint sa cible.
Pourquoi cet accompagnement ? Il était prévisible que la nouvelle formule ne serait pas totalement bio équivalente à l’ancienne : changement d’excipients, teneur cette fois stable en principe actif la Lévothyroxine. La marge thérapeutique de cette dernière étant étroite, il aurait fallu suivre de très près les patients lors du passage à la nouvelle formule afin de réadapter les doses administrées. Le médecin de la Revue Prescrire interviewé a commencé cette explication, vous auriez dû lui laisser le temps de développer, d’expliquer, et peut être de rassurer. Car il aurait certainement témoigné que nombre des effets secondaires décrits par les patients, sont en fait des signes cliniques de dérèglements thyroïdiens, et non pas ceux d’un pseudo empoisonnement.
L’ANSM, par l’intervention de la Ministre de la Santé, a finalement choisi de faire volte face, en autorisant la (re) mise sur le marché, de façon transitoire, de l’ancienne formule du Lévothyrox. Cela ne résout en rien le problème, et remet à plus tard la gestion de cette crise. En promettant l’arrivée sur le marché de nouveaux médicaments, après avoir pendant des années favorisé le laboratoire Merck en protégeant sa spécialité de la substitution générique (qui existait depuis longtemps).
Même si tout praticien se doit d’écouter ses patients, prendre en compte ses plaintes, le ton de votre émission aurait dû un peu moins verser dans l’émotionnel, à deux pas du sensationnel dont sont coutumières les chaines n’appartenant pas au Service Public. Pour laisser plus de place à l’explication, afin de proposer des solutions face à la souffrance des patients.
Vous êtes une journaliste reconnue et appréciée ; ne sous estimez pas l’impact que peut avoir votre émission sur le grand public, et l’on peut dire que là, vous ne facilitez pas la tâche des professionnels qui partagent le quotidien des malades, et qui doivent déployer toute leur énergie à apaiser, expliquer, convaincre pour rassurer. Par ce genre de reportage, il devient de plus en plus compliqué de le faire. Pour preuve le nombre important de patients, qui se sentent après votre diffusion bienfondés à stopper leur traitement, suite ce témoignage qui a marqué les esprits…. Je vous rappellerai que ce traitement est JUSTE VITAL pour les personnes à qui il est prescrit.
Je ne doute pas que vous reviendrez sur ce sujet ; avec j’espère plus d’objectivité, et avec le concours de professionnels de santé indépendants des laboratoires et des instances gouvernementales
Bien à vous

Auteur: Dominique Drazebla